Logiquement, l’avenir de la politique de cohésion après 2020 aurait dû se jouer fin 2017 avec la proposition de cadre financier pluriannuel de la Commission. Mais Bruxelles a préféré reporter le chantier : ce cadre financier (le budget européen) pour la période 2018-2023 et pour la période post-2020 ne sera présenté qu'à l’été 2018, après la sortie définitive du Royaume-Uni de l’Union européenne. De ce budget dépendra la part dévolue à la politique de cohésion. Ce délai supplémentaire, les collectivités vont le mettre à profit pour peser de tout leur poids avec, en ligne de mire, le "forum de cohésion" qui se tiendra à Bruxelles à la fin du mois de juin. Suivra à l'automne la publication du 7e rapport sur la politique de cohésion et le lancement d'une consultation publique. Or l’avenir est plus incertain que jamais. Contributeur net, le Royaume-Uni pèse pour 15% du budget communautaire. Son départ va engendrer un trou d'une dizaine de milliards d’euros par an dans ce budget. La tentation est donc grande à Bruxelles de tailler dans la politique de cohésion et sa manne de 450 milliards d’euros (montant de la programmation actuelle 2014-2020).
Livre blanc
Signe des temps, dans son Livre blanc sur l’avenir de l’Europe à 27 présenté le 1er mars, à l’occasion des soixante ans du traité de Rome, la Commission européenne n’a pas eu un égard pour la politique de cohésion. Après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis et le Brexit, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker dit, dans son avant-propos, vouloir à travers ce document stratégique "lancer un processus par lequel l’Europe déterminera sa propre voie" (l'aveu que ce n’était pas le cas jusqu’ici ?). La Commission ambitionne ainsi, dans un de ses scénarios, de "faire beaucoup plus ensemble dans tous les domaines d’action", notamment "l’achèvement du marché unique dans les domaines de l’énergie, du numérique et des services"… Dans cette optique, les accords commerciaux seraient de la compétence exclusive de l’Union européenne. L’Union économique, financière et budgétaire serait réalisée. L’UE parlerait d’une seule voix sur la scène internationale. Et elle disposerait de ressources propres… Un vieux rêve que le commissaire aux Affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, a eu l’occasion d'évoquer lors d’une entrevue avec le président de la Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, le 30 mai (ce dernier était justement venu défendre la politique de cohésion).
Elaborer d'autres indicateurs que le PIB
Cette stratégie européenne à 27 s’accompagne d’une série de documents, dont certains ont déjà été publiés : le Socle européen des droits sociaux (voir ci-dessous notre article du 5 mai 2017) et le document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation (d’aucuns y voient une réponse à la montée des "populismes" en Europe). Et surtout, le document de réflexion sur l’avenir de la Défense européenne présenté ce mercredi 7 juin. Bref, la priorité n’est pas vraiment à la politique de cohésion. Ce Livre blanc "réduirait les efforts de l’Union européenne concernant la politique de cohésion", s'offusque même l’eurodéputée socio-démocrate allemande Kerstin Westphal dans un rapport adopté par la Commission du développement régional, le 6 juin. Un peu moins d’un mois après l’avis du Comité des régions sur le sujet (voir ci-dessous notre article du 16 mai 2017), la députée plaide à son tour pour le maintien d’une politique de cohésion sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Elle estime que les subventions doivent rester au cœur de cette politique, malgré le recours accru des "instruments financiers". Les prêts, prises de participation ou les garanties doivent être utilisés "avec prudence", souligne-t-elle. De même, le plan Juncker ne doit pas remplacer les subventions, ni conduire à "réduire le budget de l’EFSI" (les fonds européens structurels et d’investissement, bras armé de la politique de cohésion). La députée invite aussi la Commission à "réfléchir à l’élaboration d’un ensemble d’indicateurs qui vienne en complément du PIB" tels qu’un indice de progrès social ou un indice démographique. "De tels indicateurs pourraient mieux répondre aux nouveaux types d’inégalités qui se font jour entre régions de l’Union européenne", insiste-t-elle. Dans l’entourage de Jean-Claude Juncker, l’idée de réserver la politique de cohésion aux régions les moins développées a le vent en poupe. Les plus riches seraient, elles, invitées à se tourner vers des instruments du type du plan Juncker.
"Il nous faut défendre l’idée même de cohésion c’est-à-dire de cohésion entre tous les territoires et pas une logique de compétitivité entre eux comme le souhaite particulièrement le président Juncker", explique Romain Briot, spécialiste des questions européennes à l’Assemblée des Communautés de France (AdCF). Ce dernier faisait partie d’une délégation du "Pôle Joubert" (qui regroupe l'AdCF, France Urbaine, l’Association nationale des Pays et PETR et la Fédération nationale des agences d’urbanisme) reçue par des représentants de la Commission et de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, le 11 mai. Cette logique de compétitivité des territoires (qui avait prévalu en France il y a quelques années avec la transformation de la Datar en "Diact") est à l’opposé de l'esprit même de la politique de cohésion, qui vise à réduire les écarts de développement entre les régions européennes. Avec, il est vrai, un succès très inégal… "C’est un grand projet parfois un peu hors sol, juge Romain Briot à propos du plan Juncker, une tout autre manière d’imaginer les relations entre l’Europe et les territoires, mais cela permet un affichage valorisant pour la Commission." D’autant que les élections allemandes à l’automne plaident aussi pour un tour de vis.
Les régions françaises ont tout à prouver
Fait rarissime, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve avait adressé à Jean-Claude Juncker, le 10 avril dernier, un courrier sur ce sujet. Il y défendait l’attachement de la France à la politique de cohésion, "l’une des déclinaisons les plus tangibles de la solidarité européenne", devant donc "demeurer un instrument de redistribution et de péréquation".
La position du nouveau gouvernement français est très attendue. Avec trois ministres en charge des questions européennes (deux à l'Europe et un à la cohésion des territoires), "le message est très fort et va tout à fait dans notre sens", veut croire Romain Briot. "Ce n’est pas que du protocole."
Dans cette course de vitesse, la France ne part pas favorite. Elle a tout à prouver en ayant décidé de transférer une grande part de la gestion de ces fonds aux régions en 2014. L'association Régions de France propose d'aller "au bout de cette démarche" en confiant aux exécutifs régionaux la gestion, la certification et le paiement de la totalité des fonds structurels et d'investissement : Feder, FSE, Feader (développement rural), Feamp (affaires maritimes) et même le premier pilier de la PAC, avec les aides directes aux agriculteurs (le Feoga). On remarquera que les associations d’élus ne font pas cause commune avec Régions de France sur ce dossier. C’est que la régionalisation ne se passe pas sans accroc. Et les crédits tardent parfois à être versés aux porteurs de projets (on ne parle pas des crédits du développement rural dont le retard est imputable au ministère de l'Agriculture et à l'Agence des services de paiement). "On aimerait d’abord que cela fonctionne bien. Or on a des signaux d’alerte dans certaines régions, notamment sur la dimension territoriale et urbaine du Feder et du FSE", constate Romain Briot. Pour l’heure, il n’est pas question de dégagement d’office en tant que tel (c’est-à-dire le renvoi des crédits non consommés dans les temps à Bruxelles), mais un "dégagement d’office thématique" n’est pas exclu. En clair, dans ces régions retardataires, les crédits du volet territorial pourraient devoir être reversés à d’autres thématiques du programme opérationnel, comme l’environnement, l’appui aux PME... "Cela signifierait qu’on aurait échoué à territorialiser les fonds. Cela nous mettrait en porte-à-faux dans cette négociation", estime encore Romain Briot.
Le problème que posent les "grandes" régions
Un autre problème se pose à la France : la création des grandes régions a mécaniquement gonflé les PIB régionaux. Ce qui fait qu’en cas de recentrage de la politique de cohésion, beaucoup auraient à y perdre. Notamment les régions dites en "transition". Une nouvelle catégorie introduite en 2014 qui a profité à de nombreuses régions françaises. Les associations d’élus du Pôle Joubert militent ainsi pour le maintien des anciens périmètres régionaux dans le calcul du PIB. Elles ont aussi attiré l'attention des autorités de Bruxelles sur les inégalités infra-régionales. "Ce qu’on a voulu expliquer, c’est qu’au sein même de régions fortes comme l’Ile-de-France, Rhône-Alpes ou Midi-Pyrénées, on a des situations locales préoccupantes, dans les quartiers de la politique de la ville ou les zones rurales", explique Romain Briot. Apparemment, à la DG Régio, le message est bien passé. Il reste le plus dur, convaincre les autres commissaires, notamment Pierre Moscovici, car l'argument du "saupoudrage" des crédits a tôt fait de ressortir.
Un sujet semble cependant faire consensus : le besoin de simplification des contraintes administratives pesant sur les autorités de gestion. Dans le droit fil du Comité des régions, Kerstin Westphal estime nécessaire d'harmoniser les règles sur les aides d'Etat et celles de la politique de cohésion (un même projet pouvant aujourd'hui être soumis à deux régimes différents, selon l'origine des fonds, qu'il s'agisse de la politique de cohésion ou de Horizon 2020 par exemple). Elle préconise aussi un règlement unique pour les quatre fonds structurels et d'investissement. Les Régions de France proposent même d'aller plus loin en instaurant un fonds unique. Un scénario que le Comité des régions n'avait pas souhaité retenir dans son avis.
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