C'est bien à un déconfinement beaucoup plus large que celui à l'œuvre depuis le 11 mai qu'Edouard Philippe a ouvert la voie ce jeudi 28 mai. Le Premier ministre a en effet levé une grande partie des restrictions et situations d'entre-deux en vigueur depuis trois semaines. Certes, il va falloir "rester très vigilants", certes toute la France n'est pas passée en "vert" sur la carte, certes "nous sommes toujours sur ce chemin de crête entre sécurité sanitaire et reprise économique"… mais la vie quotidienne devrait commencer à ressembler un peu à celle d'avant le mois de mars, les Français vont pouvoir "souffler après l'épreuve", "la liberté va redevenir la règle, et l’interdiction l’exception". Ceci, tout simplement, parce que "les nouvelles sont plutôt bonnes", a d'emblée résumé Edouard Philippe en débutant son allocution en fin d'après-midi : oui, "les résultats sont bons sur le plan sanitaire". Et apparemment même plutôt meilleurs que prévu.
Quatre nouveaux indicateurs
Ainsi, si l'on se base sur les trois indicateurs qui avaient été définis fin avril (taux de cas nouveaux dans la population, capacités en réanimation, tests et détection) et qui avaient peint en rouge un gros quart nord-est de l'Hexagone, désormais tout le territoire passerait en vert, à l'exception de deux départements : le Val-d'Oise et Mayotte.
Sauf que le gouvernement s'appuie désormais sur une nouvelle série d'indicateurs : l'incidence (nombre de personnes infectées sur 100.000 habitants, avec un seuil d'alerte, ainsi qu'un seuil de vigilance auquel répondent une quinzaine de départements) ; le taux de positivité des tests (1,9% en moyenne, là-dessus toute la France passe en vert) ; l'évolution du R-0 (nombre de personnes contaminées par chaque malade, qui est aujourd'hui en moyenne de 0,77, seule la Guyane dépassant le seuil de 1) ; le taux d'occupation en réanimation (avec des seuils modifiés par rapport ai mois dernier : le seuil de vigilance a été abaissé à 40% et concerne ainsi l'Ile-de-France, le seuil d'alerte étant quant à lui déclenché à 60% et touchant Mayotte).
Au final, la carte synthétisant tous ces critères fait passer au vert tout le territoire… sauf l'Ile-de-France, Mayotte et la Guyane, qui restent au stade "orange". Pourquoi toute l'Ile-de-France et non pas seulement une partie de ses départements ? Parce que les capacités de réanimation sont comme auparavant évaluées au niveau régional. Mais aussi, dans ce cas précis, parce que le gouvernement a "considéré que les mesures doivent être prises à cette échelle" étant donnée la densité de population du territoire francilien et la mobilité au quotidien de ses habitants. Ce qu'ont d'ailleurs regretté les présidents de deux départements de la grande couronne. "L'Essonne passe à l’orange au lieu du vert car le gouvernement ne veut pas gérer l'Ile-de-France par départements. Petite avancée mais pas suffisante", a ainsi tweeté François Durovray. "Le classement en orange de la Seine-et-Marne (…) place nos territoires dans une situation floue qui est particulièrement inconfortable", déclare pour sa part Patrick Septiers dans un communiqué.
Tests : pas de "saturation"
Etre dans un département vert "ne veut évidemment pas dire que le virus ne circule plus", a tenu à insister Olivier Véran, l'un des deux ministres intervenant ce 28 mai aux côtés d'Edouard Philippe. Et le ministre de la Santé d'évoquer la poursuite de la stratégie "protéger, tester, isoler" avec "le déploiement massif de tests PCR". Il a assuré que ces tests pouvaient être pratiqués "autant que nécessaire", qu'il n'y avait aujourd'hui pas de "saturation". En plus des tests auprès des personnes présentant des symptômes, des "opérations en populations asymptomatiques" sont aussi réalisées (on sait par exemple que l'ARS Ile-de-France en a mené plusieurs ces derniers jours en Seine-Saint-Denis). A ces tests PCR s'ajoute la possibilité de tests sérologiques destinés à "détecter la réaction immunitaire" dont doivent notamment pouvoir bénéficier les personnels de santé et des Ehpad. Globalement, le pays disposerait d'un "appareil de détection suffisant pour casser la chaîne de contaminations", a jugé le chef du gouvernement.
La façon dont les brigades sanitaires ont commencé à se mettre en place pour le traçage des cas contacts n'a pas été évoquée. Edouard Philippe a en revanche tenu à faire un petit rappel concernant la fameuse application StopCovid à laquelle le Parlement avait donné un "feu vert vigilant" la veille au soir (lire notre article de ce jour). Surtout pour insister sur le fait qu'il ne s'agit que d'un "outil complémentaire" qui prendra sens à l'heure de "la multiplication des interactions sociales dans les lieux publics" que va entraîner cette "phase 2" du déconfinement,
Liberté de se déplacer... en métropole
Première des libertés retrouvées : à partir de mardi, chacun pourra aller et venir dans l'Hexagone sans limitation. Le Premier ministre a en effet levé l'interdiction de se déplacer à plus de 100 km de son domicile, interdiction qui n'a "plus de justification", tout en appelant les Français à différer autant que possible leurs déplacements superflus.
Des contrôles "très stricts des déplacements" vers les Outre-mer sont en revanche maintenus. Une "ouverture plus large des vols pour les vacances" est toutefois envisagée "si les conditions sanitaires le permettent". "D'ici là, nous allons expérimenter une nouvelle forme de quatorzaine dans certains territoires [ultramarins], avec un test qui sera réalisé au bout de sept jours", et pourra conduire s'il est négatif "à adapter les contraintes" de la quatorzaine, a précisé Edouard Philippe.
S'agissant des déplacements internationaux, il a assuré que la France est "favorable" à la réouverture des frontières intérieures de l'Europe à compter du 15 juin, sans quatorzaine pour les voyageurs. "Nous appliquerons la réciprocité" si certains pays devaient imposer des quatorzaines aux Français, a-t-il toutefois déclaré. En sachant que pour les frontières extérieures, "la décision sera prise collectivement avec l'ensemble des pays européens", là aussi "à l'horizon du 15 juin".
Assouplissements en vue dans les transports en commun
Interrogé par la presse sur la question des transports publics, notamment en Ile-de-France, Edouard Philippe a rappelé avoir en vue du 11 mai donné la possibilité aux autorités organisatrices de demander des restrictions spécifiques. Ce qui avait été le cas pour la présidente de région Valérie Pécresse souhaitant réguler la fréquentation aux heures de pointe. "Nous allons voir avec elles si nous pouvons lever progressivement les limitations", indique-t-il aujourd'hui. "Il y a une certitude", a réagi Valérie Pécresse dans la soirée : "Le port du masque va demeurer jusqu'à la fin de l'épidémie". En revanche, il est "possible d'assouplir les règles de distanciation physique, peut-être même de les supprimer". En impliquant théoriquement une distance d'un mètre entre les voyageurs, ces règles réduisent de facto drastiquement le nombre de personnes susceptibles d'être transportées. Alors, si la suppression de ces règles était décidée, cela entraînerait, selon Valérie Pécresse, la disparition de l'attestation d'employeur aux heures de pointe ainsi que le filtrage à l'entrée.
On saura en revanche qu'il est toujours demandé de privilégier autant que possible le télétravail. Ceci fait partie des "contraintes ou contreparties" transversales attendues par le gouvernement : télétravail, rassemblements toujours limités à dix personnes dans l'espace public (au moins jusqu'au 22 juin), port du masque obligatoire ou recommandé dans un grand nombre de situations. Les "personnes vulnérables" du fait de pathologies doivent pour leur part continuer à faire l'objet d'une attention spécifique : gestes barrière, activité partielle lorsque le télétravail impossible, consultations médicales "bilan et vigilance"…
L'économie du temps libre reprend forme
Plusieurs décisions étaient très attendues, elles ont été au rendez-vous. La première mentionnée par le Premier ministre a été celle concernant les restaurants et cafés. Dès ce 2 juin, ils pourront rouvrir en zone verte, avec diverses directives à la clef : espacement des tables, pas de consommation au comptoir, masques pour le personnel… En Ile-de-France en revanche, seul le service en terrasse sera autorisé. Cette restriction sera réévaluée en vue du 22 juin.
Il incombera aux maires de décider éventuellement d'une possibilité d'agrandissement de la terrasse d'un établissement : "Je peux imaginer une forme d'organisation un peu différente, un peu plus libérale, mais je ne peux pas présumer des décisions des maires", a indiqué Edouard Philippe, relevant la nécessité de concilier cela avec d'autres exigences liées à la voirie. Anne Hidalgo avait fait savoir dès la mi-mai que la mairie de Paris travaillait à des extensions de terrasses : "Pour permettre aux restaurateurs et cafetiers de gagner de l'espace lors de la réouverture, j'ai proposé qu'on prenne sur l'espace public, en mettant par exemple à disposition gratuitement des places de stationnement" (on va sans doute réentendre parler dans les jours qui viennent de "parklets", ces extensions provisoires de trottoirs sur les voies de stationnement…).
L'ensemble des plages, lacs et plans d'eau seront accessibles dès le 2 juin sur tout le territoire (sans qu'il soit précisé si les plages devront rester "dynamiques"...), de même que les "musées et monuments"; apparemment sans distinction en termes de taille et de fréquentation.
Autre décision très attendue, surtout à Paris et en Ile-de-France : la réouverture des parcs et jardins, que la maire de Paris ne cessait de réclamer depuis plusieurs semaines. C'est chose faite et ce, sans même attendre le 2 juin. Ce sera "dès ce weekend", autrement dit dès samedi. "A la demande des maires", les préfets pourront édicter des conditions d'accès particulières, y compris le port du masque. Le premier adjoint parisien, Emmanuel Grégoire, a indiqué que la ville allait préciser ce vendredi "les consignes à respecter pour cette réouverture à laquelle nous nous préparons depuis déjà plusieurs semaines".
En revanche, un calendrier différencié est établi entre zones vertes et zones orange pour les piscines, gymnases et salles de sport, parcs de loisirs, salles de spectacle et théâtres. Dans un cas, réouverture le 2 juin. Dans l'autre, il faudra patienter jusqu'au 22 juin. Les cinémas, pour leur part, ouvriront tous le 22 juin, le secteur ayant demandé une date uniforme sur tout le territoire.
Pour tous les lieux accueillant du public en intérieur, il appartiendra aux exploitants de "déterminer les conditions d'organisation de leurs salles" susceptibles de garantir une sécurité sanitaire suffisante. "L'Etat et les collectivités les assisteront" si besoin.
S'agissant de l'accueil en plein air, une règle va rester en vigueur : les "grands rassemblements" de plus de 5.000 personnes sont interdits, le préfet pouvant abaisser encore cette jauge. Les parcs de loisirs demandent d'ailleurs des précisions là-dessus. "On n'a pas compris si c'était par ERP, établissement recevant du public, ou par site, ce qui est très différent. Ce serait méconnaître totalement nos activités de fixer une jauge identique pour un parc de 2 ou de 50 hectares", a averti Arnaud Bennet, le président du Snelac, la fédération professionnelle des Espaces de Loisirs, d'Attractions et Culturels.
Enfin, les hébergements touristiques pourront rouvrir, là encore le 2 juin en zone verte et le 22 juin en zone orange : campings, villages vacances, maisons familiales de vacances, auberges collectives… Nicolas Dayot, président de la fédération nationale de l'Hôtellerie de Plein Air (FNHPA), y voit "une excellente nouvelle car les Français disposent d'une complète visibilité et peuvent planifier leurs vacances, dans des campings qui auront mis en place des dispositifs de sécurité adaptés, y compris pour les piscines". "La profession est convaincue qu'en instaurant les mesures de protection et de prévention, et en comptant sur la responsabilité de chacun, la saison se déroulera pour le mieux", a-t-il assuré. Les colonies de vacances et autres camps d'été pour enfants et jeunes pourront démarrer partout à partir du 22 juin.
Côté sport, si les piscines ou salles de fitness sont donc appelées à rouvrir, les sports collectifs et sports de contact restent en revanche interdits au moins jusqu'au 22 juin. Seuls les sportifs professionnels vont pouvoir reprendre l'entraînement le 2 juin "avec un protocole médical strict". Le Premier ministre a par ailleurs écarté l'hypothèse d'une reprise de la saison des championnats de sports professionnels : "Je ne crois pas que le moment soit venu, j'espère qu'il viendra bientôt, et que le début de la saison prochaine pourra s'effectuer dans des conditions normales".
"Les ministres vont préciser" l'ensemble de ces mesures dans les jours à venir et le décret devant venir les traduire "sera pris ce weekend", a fait savoir Edouard Philippe, qui refera donc un nouveau point quelques jours avant le 22 juin pour annoncer les règles du jeu de la phase suivante. Appelant à la "responsabilité des concitoyens", il a insisté sur le fait que "le début d'un relâchement, une désinvolture, pourrait faire repartir l'épidémie dans certains territoires". Et que si "certains seuils devaient être franchis", des "mesures adaptées" plus strictes pourraient être décidées.
Education : partout, mais pas tout le monde, du moins pas en même temps
Un ministre était en tout cas présent ce jeudi pour préciser d'emblée les choses jusqu'aux congés d'été : Jean-Michel Blanquer est venu présenter un point d'étape de ce qui constituait l'un des grands enjeux de la première phase de déconfinement et annoncer ce qui est désormais prévu. En commençant par remercier tous les acteurs locaux, dont les élus, "qui ont beaucoup travaillé" pour la réouverture des établissements scolaires le 11 mai, en respectant "un protocole très rigoureux". Le mois de mai correspondait à "une situation d'amorce" qu'il s'agit d'"amplifier" au mois de juin, a dit le ministre de l'Education.
S'agissant des écoles, à ce jour, "plus de 90% des communes" ont rouvert leurs écoles, soit 82% d'entre elles. Toutefois, seuls 22% des élèves ont pu être accueillis sur site au même moment en zone verte, et 14% en zone rouge. A partir de mardi, l'objectif est que "toutes les écoles" soient ouvertes et que "toutes les familles qui le souhaitent" puissent voir leur enfant accueilli "au moins une partie de la semaine". Sauf que le protocole restant pour l'heure inchangé, le nombre maximal d'élèves par classe reste fixé à 15. A Paris par exemple, la demande des familles se fait "de plus en plus pressante", témoigne Patrick Bloche, l'adjoint en charge de l'éducation. "On va pouvoir ouvrir des classes supplémentaires et accroître le nombre d'élèves, souvent inférieur à 15". Mais en raison du cadre contraint du protocole et d'écoles souvent exiguës, "on ne pourra jamais aller au-delà de 40% d'enfants accueillis", dit-il.
Le ministre de l'Education mise notamment sur le développement du programme "Sport, santé, civisme et culture (2S2C)" par les collectivités locales pour permettre un accueil complémentaire des enfants en-dehors du cadre scolaire. Pour le moment, seule une centaine de communes ont signé une convention pour leur mise en place, affirme Agnès Le Brun, en charge de l'éducation à l'Association des maires de France (AMF). "Il ne faut pas oublier qu'on est dans un entre-deux électoral et que les communes n'ont que très peu de temps pour mettre en place ce dispositif, qui va rester très aléatoire", explique-t-elle.
S'agissant des collèges, en zone verte, 95% des collèges ont rouvert il y a une semaine, avec 28% des collégiens de sixième et cinquième accueillis. Pour la phase 2, tous les collèges devront rouvrir. De la sixième à la troisième en zone verte, mais uniquement pour les classes de sixième et cinquième en zone orange. Du moins pour le moment. L'élargissement aux autres niveaux sera à considérer "au cas par cas", a indiqué Jean-Michel Blanquer.
En ce qui concerne les lycées, dans les départements verts, "les lycées généraux, technologiques et professionnels vont rouvrir et accueillir progressivement les élèves, au moins sur l'un des trois niveaux" - seconde, première ou terminale - dans un premier temps. "Le travail avec les régions" a été engagé en ce sens. En zone orange en revanche, la priorité sera donnée aux lycées professionnels. Pour les lycées technologiques et généraux, le retour des élèves dans les établissements se fera uniquement pour des entretiens individuels, notamment pour "faire le point sur leurs projets d'orientation", et pour du "travail en tous petits groupes". L'épreuve de l'oral du bac de français est finalement annulée pour les lycéens de première et sera remplacée par une note de contrôle continu correspondant aux deux premiers trimestres.
"L'instruction est obligatoire, on doit soit être à l'école, soit dans un lien grâce à l'enseignement à distance", a rappelé le ministre, redonnant le chiffre de 4% d'élèves décrocheurs, une moyenne nationale connaissant de fortes variations selon les territoires. La "priorité" est aujourd'hui d'"aller chercher" ces décrocheurs, "les élèves qui en ont le plus besoin", et le ministère met en place une "mobilisation générale" impliquant les assistantes sociales de l'Education nationale et des départements.
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